10h – 12h30
Les Corps dé-bordés du butō
Sylviane Pagès (Université Paris 8)
Le butô, cette forme chorégraphique émergeant dans le Tokyo des avant-gardes des années 1960, a construit des corporéités singulières qui ne cessent de mettre en crise « le corps » et de déborder ses limites anatomiques. Par une attention intense portée aux sensations, les danseurs butô mettent en œuvre et fictionnent un corps poreux à l’environnement, un corps tissé de mots et de poésie, un corps où l’on fait entrer de l’autre en soi. Ce travail de l’imaginaire et de la sensation participe d’un projet esthétique et politique, celui d’une « insurrection de la chair », du nom d’une pièce emblématique du fondateur du butô en 1968, Tatsumi Hijikata.
Quelle place pour la parole dans les œuvres chorégraphiques ?
Paule Gioffredi (Université Lyon 2)
L’autonomisation de la danse et sa reconnaissance comme art à part entière sont passées, depuis l’Antiquité et de nouveau au 18e siècle, par la séparation de la gesticulation et de la vocalisation, et dès lors par l’exploration et la manifestation de la puissance expressive du corps en mouvement. Pourtant, les danseurs sont bien doués de voix et plus encore de parole, et l’exercice de la voix relève bien de la motricité. Ainsi, depuis un demi-siècle, bien des artistes ont décidé de rompre le mutisme de la danse et d’inventer les modalités d’un usage chorégraphique de la voix et de la parole. Nous proposons de réfléchir à la nature de ces vocalisations proprement chorégraphiques.
Comment s’agenrer ? Débordements hybrides
Bernard Andrieu (Université Paris 5)
La norme sociale trouve dans un critère esthétique pour juger de l’être à partir de l’apparence de son corps. L’accident, la blessure, la cicatrice ou le handicap sont autant d’anormalités sociales que l’hybridation technologique viendrait compenser sinon éliminer, la rendant d’autant plus acceptable. Mais l’hybridité engage une normativité du vivant, au sens de Canguilhem, qui vient s’opposer à la normalisation sociale des corps : en modifiant la technique du corps par l’incorporation d’une nouvelle technique, l’hybridation produit une somatechnie singulière : altérant son identité, le sujet se trouve confronté à une altérité technique qui vient perturber son paysage habituel. Comment dans un tel changement de repère rester indéfini ? L’être peut-il rester dans un devenir sans s’externaliser entièrement dans une post-identité ou sans incorporer en son sein les nouveaux caractères de sa mutation ? La techno-humanité qui vient pose bien des problèmes de frontières et de délimitations entre soi et l’autre, entre familiarité et étrangeté : il est aisé de confondre transhumanisme, post-humanisme, cyborg et hybridation.
14h – 15h30
L’Accueil des corps minoritaires (trans, travestis, queer) sur les scènes théâtrales et chorégraphiques actuelles
Pierre Katuzewski (Université Bordeaux Montaigne)
Plusieurs metteur.se.s en scène et performeur.se.s comme François Chaignaud, Didier Ruiz, Phia Ménard, Steven Cohen ou Vanessa van Durme, pour n’en citer que quelqu’un.e.s, ont récemment composé des spectacles avec comme protagonistes des personnes trans, travestis ou queer. Après un bref état des lieux des spectacles actuels présentant des corps dits minoritaires et des problématiques qu’ils soulèvent, nous nous focaliserons sur la dernière création de Didier Ruiz. Dans Trans (Més Enllà), créé en 2018, huit acteur.trice.s transgenres font état de leur parcours. Comment Didier Ruiz fait-il jouer ces acteur.trice.s non professionnel.le.s ? Quels enjeux sociaux et spectaculaires ces corps qui défient les normes engagent-ils ? Quel accueil du public pour ce spectacle d’une facture inhabituelle ?
Quand un festival déborde…
Michel Briand (Université de Poitiers)
Les discours de haine contre la danse blâment les débordements, à trois niveaux : le corps (féminin, efféminé, animal, extatique, artificiel …), la relation entre performeurs.ses et spectateurs.trices (transports en excès, perte de soi, effets de miroir, catharsis, jeux de simulacres), la fête, dionysiaque, rebelle, troublant espace-temps et ordre publics. Pour Jean Chrysostome, « le démon se trouve partout où il y a de la danse » et certes la danse fait déborder les corps sur scène, dans le public, en chacun.e et en foule, et ailleurs, perturbant, faisant exploser, se dissoudre, s’enfiévrer, frontières, normes, identités, assignations, évidences, binarités. Tout ce qu’on peut observer et vivre, avec l’ambivalence du dé-bord finalement maîtrisé, dans À corps 2019, ou dans des expériences de transe et vertige typiques des danses traditionnelles et actuelles (de la valse ou de la tarentelle au pogo ou à la rave), voire dans des festivals entiers (de Woodstock au Hellfest ou au carnaval de Rio), des manifestations artivistes (p. ex. Steven Cohen ou les Femen) et tant de mouvements revendicatifs contemporains ou plus anciens.
15h45 – 17h30
Les Corps dé-bordés
Table ronde animée par Stéphanie Pichon ( journaliste) avec Olivia Granville et Mickaël Phelippeau (chorégraphes), Paule Gioffredi (Université Lyon 2) et Denis Mellier (Université de Poitiers)